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L’aristotélisme chrétien, doctrine de la loi par Saint Thomas d’Acquin

L’idée aristotélicienne de la loi

Aristote aborde la loi dans deux ouvrages majeurs, La Politique et l’Éthique à Nicomaque, traitant de l’organisation politique de la cité. Ces textes, traduits en latin au XIIIe siècle, demeurent des piliers de la philosophie morale. Aristote développe l’idée selon laquelle la cité émerge de la nature sociale de l’homme, un animal politique. L’homme aspire naturellement à une organisation garantissant des lois justes pour son bien-être, légitimant le pouvoir du dirigeant. La redécouverte d’Aristote transforme l’intellect au Moyen Âge, remplaçant progressivement la conception augustinienne de la chute de l’homme par le péché originel. Des penseurs comme Thomas d’Aquin reprennent ces concepts et les adaptent dans une perspective chrétienne, conciliant le rationalisme antique avec la théologie.

Jacques Krynen, dans Le Théâtre juridique: Une histoire de la construction du droit (2018), souligne que cette vision optimiste de la vie en communauté, fondée sur des lois, est transposée par les universitaires médiévaux sur les entités de leur époque, telles que les royaumes, les cités-États en Italie ou les principautés. Thomas d’Aquin, notamment, traduit cette vision en un aristotélisme chrétien, combinant rationalisme antique et théologie. Son œuvre majeure, la Somme théologique, aborde la loi dans le traité « De lege« , une réflexion pionnière sur la loi humaine et ses rapports avec la loi éternelle, son essence et sa finalité.

La domination du droit naturel de Platon à travers Saint Augustin et Avicenne

Saint Augustin partage la vision idéaliste de Platon, selon laquelle la loi est principalement un moyen de contrôler les instincts humains et de maintenir l’ordre social dans un monde corrompu. Comme Platon, Augustin accorde une primauté à la loi divine sur la loi humaine et souligne l’importance de la grâce divine dans la conduite des affaires humaines. Saint Augustin voit le pouvoir politique comme un instrument nécessaire pour maintenir l’ordre moral dans un monde marqué par le péché, reflétant la vision platonicienne du gouvernement par les philosophes-roi, détenteurs du savoir moral absolu. Pour Augustin, la loi éternelle est révélée par Dieu et le droit naturel en découle.

L’augustinisme a été très influencé au fil du temps par le penseur musulman Avicenne, de telle manière qu’on parle d’un « augustinisme avicennisant ». Leurs conceptions de la nature humaine, de la raison et de la relation avec Dieu ont des implications directes sur la compréhension du droit naturel selon laquelle la loi et la justice peuvent être considérées comme des manifestations de l’ordre divin et de la vérité universelle. Saint Augustin, en insistant sur la primauté de la grâce divine dans la connaissance et la moralité humaines, contribue à la formulation de la doctrine du droit naturel chrétien, selon laquelle certaines normes éthiques sont intrinsèques à la nature humaine et dérivent de la volonté divine. Avicenne, en mettant l’accent sur la capacité de la raison humaine à connaître Dieu, contribue à une vision islamique du droit naturel, où la raison est un outil essentiel pour comprendre les principes moraux qui régissent l’existence humaine. Ainsi, bien que leurs approches théologiques diffèrent, tant Saint Augustin que Avicenne participent à la construction d’un fondement philosophique pour le droit naturel basé sur une réalité transcendante et immuable, influençant ainsi la pensée juridique médiévale. Certains penseurs néoplatoniciens initialement inspirés par Saint Augustin iront même jusqu’à s’éloigner de la doctrine chrétienne à la lecture des écrits d’Avicenne sur la raison. Les influences musulmanes ont donc dans un premier temps renforcé la pensée néo-platonicienne d’Augustin et l’ont faite évoluer. Pour autant, les penseurs arabes par leur influence sur Saint Thomas, viendront remettre Aristote au goût du jour.

Saint Thomas: un parcours intellectuel

Saint Thomas, né en 1225 en Italie dans le Latium, région abritant Rome, appartient à une famille noble, les d’Aquin. Entré dans l’ordre dominicain en 1240, il fait partie du jeune ordre mendiant fondé en 1215, dynamique et en prise avec les milieux urbains, en opposition à une partie du clergé séculier. Éduqué à Naples puis à Paris, il étudie la théologie aux côtés de maîtres tels qu’Albert le Grand. Bien qu’il obtienne le titre de docteur à Paris en 1259, l’université refuse de le nommer professeur. Il est ensuite appelé par le pape pour enseigner à Rome puis à Viterbe. De retour à Paris en 1269, il écrit ses principales œuvres malgré les critiques, notamment des franciscains, pour son aristotélisme. Il est contraint, sous l’intervention du pape, de ne pas défendre certaines thèses jugées hérétiques par l’évêque de Paris en 1270. Il quitte Paris pour Naples en 1270, où il enseigne la théologie et rédige la troisième partie de la Somme théologique. Il meurt en 1274. Thomas d’Aquin est reconnu comme l’un des plus grands intellectuels de son siècle, loué pour la clarté de son esprit, sa maîtrise de la dialectique et l’étendue de ses connaissances. Familiarisé avec la cour papale, il est sollicité par des souverains pour des conseils et des missions. Canonisé en 1323, son œuvre monumentale englobe la théologie, la philosophie, l’éthique et la politique, s’inscrivant dans la pensée médiévale en pleine évolution.

La doctrine de la loi naturelle rationnelle chez Saint Thomas et l’influence d’Averroès

Averroès (Ibn Rushd), philosophe et juriste musulman d’Al-Andalus (l’Espagne musulmane), a joué un rôle crucial dans la transmission des œuvres d’Aristote vers l’Occident latin au XIIe siècle. Les traductions latines des œuvres d’Aristote et des commentaires d’Averroès ont permis à des penseurs chrétiens comme Saint Thomas d’Aquin d’accéder aux idées et à la méthodologie d’Aristote, ce qui a eu une influence profonde sur le développement de la pensée médiévale occidentale.

Saint Thomas d’Aquin a été profondément influencé par la redécouverte d’Aristote et les commentaires d’Averroès. Il a intégré les idées d’Aristote dans sa propre philosophie théologique, cherchant à harmoniser la pensée aristotélicienne avec la théologie chrétienne. Il a utilisé les commentaires d’Averroès comme l’une de ses sources principales pour interpréter les textes aristotéliciens.

Averroès a développé une approche du droit naturel qui était influencée par sa propre interprétation aristotélicienne. Averroès croyait en l’importance de la raison humaine pour comprendre les lois naturelles et morales qui régissent l’univers. Pour lui, le droit naturel était basé sur les principes de la raison et de la justice, et il était accessible à tous les individus, qu’ils soient musulmans ou non. Averroès a également soutenu l’idée que la loi civile devait être en conformité avec le droit naturel pour être légitime et juste. Les écrits de Saint Thomas reflètent cette influence de la lecture aristotélicienne d’Averroès. En effet, ils partagent une vision du droit naturel compris comme étant basé sur la raison humaine plutôt que simplement révélé par Dieu.

Les deux traités de la Somme théologique qui nous intéressent pour comprendre sa conception de la loi sont « De Lege » et « De Justitia« . La Somme théologique se divise en deux parties, la première traitant de la création de l’Homme et la seconde des actes humains, où se trouve le traité sur la loi. Thomas d’Aquin propose une typologie des lois. La loi éternelle, gouvernant toute la création, est la raison du gouvernement divin, établissant l’harmonie des lois selon Dieu. La loi naturelle, non écrite, découle de la loi éternelle et réside dans la raison pratique non spéculative, guidant les hommes vers des comportements vertueux. La loi humaine, dérivée de la loi naturelle, est établie par les hommes pour régir la vie en société. Thomas d’Aquin s’intéresse particulièrement à cette dernière, examinant son utilité et sa relation avec la justice, ainsi que le rôle du juge dans son application. Selon lui, une loi juste est celle qui vise le bien commun et qui peut être modifiée si nécessaire pour répondre à cette exigence. Le droit naturel n’est donc plus une réalité immuable découlant du divin, mais une expression de la loi naturelle qui s’impose pour le bien commun en considérant que la volonté divine réside dans la nature humaine.

La contribution de Saint Thomas au renouveau du pouvoir du prince

Dans leurs conceptions du pouvoir politique, Saint Thomas d’Aquin et Saint Augustin reflètent également les influences d’Aristote et de Platon. Saint Thomas, tout en reconnaissant la légitimité du pouvoir politique, insiste sur la nécessité que celui-ci agisse avec vertu et consulte les sages pour promulguer des lois justes, ce qui rappelle les idéaux aristotéliciens de gouvernement par les meilleurs. En revanche, Saint Augustin voit le pouvoir politique comme un instrument nécessaire pour maintenir l’ordre moral dans un monde marqué par le péché, ce qui reflète la vision platonicienne du gouvernement par les philosophes-roi, détenteurs du savoir moral absolu.

La pensée de Saint Thomas, ancrée dans le renouveau intellectuel du XIIe siècle, s’inspire d’Aristote tout en adaptant ses concepts aux enjeux politiques et théologiques de son époque. Il distingue les différentes formes de lois selon les régimes politiques, établissant ainsi une hiérarchie qui souligne l’importance de la loi pour le bien commun. Il met en avant le rôle des gouvernants dans l’instauration de lois vertueuses et souligne la nécessité d’une diffusion large et claire des lois. En différenciant le droit des gens du droit civil, il articule une vision complexe de la législation, qui englobe à la fois les principes naturels et les particularités propres à chaque société. Saint Thomas réaffirme la place du prince comme garant du bien commun et comme prolongement vertueux de la volonté divine au soutien des sujets. Par là, il vient redonner de la légitimité au pouvoir du prince dont la décision est tournée vers le peuple et n’est plus supposée empêcher le pêché mais guider la politique vers le bien commun. Pour autant, le pouvoir du prince devient conditionné à un aspect performatif, en ce sens que si la décision du « philosophe-roi » n’est pas vertueuse, sa légitimité disparaît. En ce sens, l‘œuvre de Saint Thomas a été cruciale dans le retour du pouvoir législatif aux juristes, contribuant ainsi à façonner la pensée juridique moderne.

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